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Boris, Rodin, et les machines à laver


 


Boris Charmatz, partenaire du Danztheater Wupertal à deja il y  a peu enflammé le théâtre du Chatelet,  avec une histoire de Cathédrale, il continue son œuvre en inaugurant au théâtre dela ville un espace spécialement conçu pour la performance avec sa pièce : Aattenentionon

C’est un nom mystérieux issu d’une langue inconnue qui pourrait faire penser à un nom de lieu, de gouffre ou de torrent en Norvège où en Islande.

Dans l’entrée du théâtre de la Ville est dressée une tour carrée de trois niveaux. Sur un rock tonitruant s’échauffent les danseurs du Danzthéâter, chacun dans leur boîte virtuelle composée de planchers en bois et poteaux d’acier.
Une danseuse est tout en haut.
Petite, fine musclée.
Au milieu un danseur trapu et carré, de taille moyenne et au rez de chaussée un autre grand mince et barbu.
3 physiques aux antipodes.
Le public passe directement de la rue à la salle, du trottoir au lino de l’entrée du théâtre de la Ville, on entendra longtemps les coups de boutoir des tambours des sans papiers scander sur la place du Châtelet leurs revendications au travers des portes du théâtre.
C’est une pièce courte qui inverse les attentes habituelles des spectateurs.
Ça démarre, dans le silence parce que la musique se tait. Les danseurs déshabillent et enlèvent le bas, nous le public avons accès à leur intimité la plus personnelle. Si je veux je peux contempler par en dessous le sexe de la danseuse qui se trouve à 5 m du sol au dessus de moi, et les sexes des hommes au raz du t-shirt sont comme deux gros coquillages dévoilant et commentant les moindres aléas des efforts physiques de leurs propriétaires.
Alors c’est une drôle de danse, très crue, presque trash, un peu à la manière des petites bonnes femmes peintes par Rodin dévoilant leur anatomie en se tenant par un pied à l’écart.
Mais on oublie ça très vite le sexe ne devient plus qu’une partie du corps aussi utile, banale qu’un cou ou une épaule.
Il se crée un vocabulaire entre les danseurs, des correspondances, les mouvements et les sons des corps rebondissant sur le bois se répondent et forment petit à petit comme une tour vivante pleine de bruits et de gestes, arabesques, de lignes, de coups. C’est une drôle de partition, rendant visibles d’une autre manière, d’un autre point de vue, les corps des artistes.
Permettant une autre lecture des corps.
C’est comme une musique, je dirai un oratorio fait avec des épaules des fesses, des pieds et des cranes. On contemple les danseurs sur trois étages, jamais je n’aurais vu de cette manière un ventre se cambrer pour envoyer une jambe en l’air et tenir, tenir, tenir.  C’est une simple partition des corps sur le bois et contre les montant de l’édifice tout entier, qui monte au ciel puis à un moment redescends, presque comme mue par une même force qui les traverseraient de toutes parts, de haut en bas et horizontalement.
Avec une énergie des corps rendue machinale par le son, la voix, qui n’est qu’une respiration passée plusieurs fois sans interruption au montage et qui donne l’impression qu’un homme machine aux poumons surhumains chante.
Donc ces sons étranges rythment les scènes, les animent, avec la même constance qu’un bouton de machine à laver qui sonne quand son cycle est terminé. Je ne sais pas si c’était beau, c’était plutôt étrange ce tourbillon à mi chemin entre Perec dans « la vie mode d’emploi » et « la tour infernale » ou le corps est à la fois musique et instrument, sans aucun filtre dans une urgence absolue.
Comme un grand élan de la terre vers le ciel, rassemble dans une tour à trois étages, où tu cognerais et te rencognerais, à force, et d’un seul coup te calmerais dans une osmose particulière.
Le tout interprété merveilleusement par les danseurs admirables de générosité et de virtuosité .

Cette pièce a été créé en 1996.
Demain j’irai à midi danser sur la place du Châtelet avec Boris Charmatz comme pleins d’autres. Si il ne pleut pas.

Claire Denieul le 27/04/2023 pour le bdo tribune.