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Maroc première partie

 

Maroc. 20 Janvier 2024

 

Au marché de Shkrirat on peut acheter des sardines, des crevettes, des calamars, des araignées de mer et les faire cuire pour les déguster sur une petite table en plastique. Cet homme avec ce beau chapeau de vendeur d’eau les fait griller sur deux grandes travées de charbon. Je le regardais aller et venir à chaque bouchées avec ses pompons rouges. Alors je lui ai demandé à la fin de prendre la pose, ce qu’il a fait plutôt content.

 

 

 

 

 

 La beauté, 22 Janvier 2024.

 

C’est un éclairage, et c’est toi qui tient le projecteur. Elle est d’abord en toi comme une pulsation, un rythme, une couleur, une vibration interne qui va du contentement à l’extase. Elle est harmonie ou contraste, toujours inattendue toujours simple, parfois puissante, parfois ténue comme une luciole, la beauté c’est un éclairage.

 

Je suis dans un bar marocain, les hommes s’installent à grand bruit pour regarder le match autour de la télé en hauteur, les hauts parleurs hurlent, les hommes aussi, ou vais je trouver de la beauté là dedans moi qui écris sur la beauté? J’écris, ils hurlent. Étrange contraste. Souvent la beauté se trouve dans le silence.

 

Hier après midi en me promenant dans la médina j’ai poussé une porte. Un homme était là assis en haut d’un escalier qui descendait sur l’ouverture d’un four en pierre, tout en hauteur comme une petite tour, avec son foyer tout en bas et les tombereaux de sciure dans la fosse.

 

J’avais pénétré dans l’arrière du hamam.

 

En faisant le tour du bâtiment je me demandais si j’allais y rentrer. Il faisait grand soleil et un ciel bleu majorelle. Une petite chatte enceinte au ventre bombé, presque douloureux et aux pis gonflés se tenait à moitié allongée sur une planche en plein soleil. Se relevant sur une patte, la tête dressée et tournée sur le côté, les oreilles frémissantes, les yeux mis clos, tendue vers la chaleur, comme une odalisque sur sa méridienne.

 

Il y avait là dans cette métaphore animale de la femme aux bains, de la beauté, oui.

 

Avant hier sur la plage les pêcheurs défaisaient leurs filets vendant leurs tas de poissons frais à même le sable sur un papier journal. L’un d’entre eux perché sur une caisse, appuyait nonchalamment ses coudes sur son bateau, il se tenant grand, droit, immobile, le profil grec et les yeux rouges, les cheveux courts et boucles, les baskets en lambeaux, figure de proue sous les vols des mouettes affamées, il ne souriait pas. Nulle expression ne sortait de son visage à la beauté frappante, sombre, puissante.

 

Oui, Le beau est partout où l’on ne l’attends pas.

 

C’est la mis-temps les hommes se sont tus, le nez penché sur leurs portables.

 

Je ne sais pas qui gagne.

 

 

 

 Fez. 25 janvier 2024

 

C’était un petit vieux en burnous assis dans la travée à l’ombre, trop à l’ombre pour un jour d’hiver. Je ne suis dit qu’il était peut être aveugle. Et je me suis retournée pour le prendre en photo. Il y en a pas mal dans la médina de Fez de ces hommes assis au coin des rues, trop vieux pour faire quoique ce soit d’autre que de se mettre là assis et d’attendre tout le jour qu’il se passe. Du Maroc, j’ai ramené des chaussettes de prière en cuir noir très souples idéales pour aller danser, ou pour mettre avec des sabots les jours de grands froids. Eux les mettent pour aller à la mosquée, ou pour rester la sur une chaise ou un tabouret.

 

 

 

Fez 25 janvier 2025, le matin.

 

Mohamed couscous, ( c’est lui qui m’a donné son nom, vraiment il s’appelle comme ça) s’était improvisé mon guide, il ne lui restait que les dents du bas et se baladait avec un verre de café au lait à moitié plein. Il se disait patron de la tannerie et m’a suivie partout alors que je lui répétais que je préférais y aller toute seule mais non, finalement ça n’était pas si mal il m’a évité de glisser sur de la fiente de pigeon, de me casser la figure dans les escaliers, m’a répété cent fois que j’étais jolie, et ne m’a abandonnée que lorsque je suis restée une heure devant la machine à lisser les peaux sans me réclamer un dhiram.

 

Alors je l’ai faite la photo avec les cuves comme tout le monde. Les hommes qui travaillent là dedans sont dans la flotte avec de la chaux et des excréments de pigeons jusqu’à mi cuisse, ils sortent les peaux de la cuve et les essorent avant de les mettre à sécher. C’est un boulot vraiment dur, je me demande à quel âge ils arrêtent.

 

Fez est un grand centre d’élevage de pigeons, on utilise leur fiente pour tanner les peaux des chèvres. On superpose les peaux et la fiente en sandwich et le tour est joué. Le kilo de fiente de pigeon coûte trois fois plus cher que 1 kg de la chair de cette pauvre chèvre: 15 dhirams.

 

 

 

 

Fez: le soir

 

J’ai un defaut j’aime les bons hotels, les 4 étoiles, juste pour boire une bière et regarder le coucher de soleil. 

Ici le bonheur arrive rien qu’en allant faire pipi dans des toilettes sublimes et en te lavant les mains avec un savon à la rose. Des l’entrée tu es submergée par une odeur pourtant discrète de feuilles d’oranger brûlées. De là où je suis je surplombe tout le côté est de la ville encore éclairé par un soleil qui commence à rougir.

 

J’embrasse du regard au moins 50 km de paysage, je peux même vous dire que le temps va se radoucir parce qu’a intervalles réguliers des bandes de de pigeons passent du sud vers le nord, j’observe leur trajectoire à la hauteur de mes yeux. Ils traversent à toute vitesse la plaine dans la lumière rougissante. Ici à Fez les maisons sont magnifiques si tu peux y rentrer. Les murs immenses cachent des trésors, et toute la décoration parfois luxuriante est à l’intérieur. J’ai visité un vieux palais décati garde par un vieillard en djellaba allongé sur un pauvre lit, qui trop fatigué pour t’accompagner te dit d’aller toujours tout droit. Dans la cuisine et le harem. Et tu déambules dans une succession de cours enserrées par de hauts murs. Dans un tas de ruines désertes et sales. Un palais abandonné, des peintures fanées, une cour vide avec une petite fontaine, quelques chats dormant du soleil c’est la qu’étaient gardées les femmes.

 

Comment ces gens vivaient ils tous ensemble A cacher leurs richesses entre 4 murs ?

 

Peu de places, peu de jardins, juste des murs.

 

Je suis au Maroc, et nous sommes Vendredi, ce matin la médina résonnaient des appels des imams dans un brouillard de voix graves se chevauchant les unes les autres jusqu’à ce que le minaret le plus vu proche tranche avec son appareil sonorisé. Ici 80 pour cent des femmes ont un foulard sur la tête, en discutant dans le train avec une jeune hôtesse de l’air, la seule du wagon à être tête nue, j’ai appris que le foulard et l’abaya chez eux allaient avec l’âge. Tant que tu est belle et jeune, tu peux te montrer, après il faut cacher ses cheveux blancs et son corps déformé par les grossesses. C’est l’islam moderne marocain. Pays des mandarines et de la fleur d’oranger

 

Les guitaristes près du bar jouent la sarabande, accompagnant la tombée du soir, un barman en costume 3 pièces vient allumer une petite bougie sur les tables et leur lumière orange se mélange sur les vitres de la terrasse du bar, à celles de la ville qui s’allument une à une. Il fait presque nuit, la guitare joue, le guitariste chante.

 

Bonheur du soir.

 

 

Fez le 13 fevrier 2024

 

Des murs

 

Des murs 

Des murs et des oranges sanguines,

Des oranges sanguines.

Des oranges sanguines, des hommes beaux jeunes forts.

Des murs et des oranges sanguines, et des hommes beaux jeunes forts.

Et puis moi.

Les hommes jeunes beaux et forts sont  en  plusieurs petit groupes de trois ou quatre, ils tiennent le mur qui est derrière eux chacun sa part . Le mur est là immobile et muet, résigné. Les oranges sanguines saignent dans des petites caisses en bois posées dans des carioles postées à intervalles réguliers. 

Je suis là moi. Je regarde par la fenêtre. 

La fenêtre du mur.

 

Peut être aurais je entrouvert les petits volets de bois épais, et me serais je allongée sur le sol pour mieux regarder par la petite lucarne, au raz du plancher, peut être aurais je senti sous mon ventre les petits carreaux fins et brillants, orange vert et noir, dont l’émail usé disparaît grignoté par les pas des visiteurs?

Peut être aurais eu sous les yeux les crânes des jeunes hommes vus du dessus.

Avec leurs formes rondes leurs franges en pentes douces.

Et la lumière frapper en rasant les pierres et la chaux et le sable du mur.

Peut être aurait il été immense ce mur et que les têtes des hommes jeunes forts et beaux, du coup, auraient eu l’air de la taille d’une orange, les oranges ayant  l’air elles mêmes de la taille de kumquats.

Peut être me serais je senti comme Alice grandir à toute vitesse brutalement poussée par ce mur en pleine croissance, les têtes et les oranges devenant des points dans l’infini plaine quadrillée de toits, de rues, de terrasses ? Dans un paysage de  terre ocre et verte.?

 

Et si ayant peur de tomber je m’étais assise sur le sol carrelé, écoutant les chants anciens des étudiants psalmodiant le coran dans leurs cellules avec leurs voix graves se mélangeant au ciel, aux oiseaux, aux nuages. Et si je m’étais enroulée dans ce chant, ce brouillard de voix, dans cette lumière dorée. Comme on se glisse dans une robe en soie chatoyante brodée de perles et de strass. Et si, ces voix devenant le cri distinct d’Allah à mes oreilles , augmentaient  subitement d’un ton, remontant la fermeture éclair scellant cette robe de lumière le long de mes vertèbres,  finissant par le bruit sec et inquiétant du fermoir autour de mon cou, 

Et si, contenant ma stupeur  j’étais  descendue dans ma robe de lumière, doucement par le petit escalier extérieur narguant le vide, le repoussant , l’affrontant. Et si j’avais trébuché, mon cœur battant la chamade m’aurait rattrapée , et si je m’était envolée, après avoir plané un peu assise sur un courant d’air, je me serais posée bien sagement près du marchand d’oranges sanguines, et après les avoir contemplées longuement dans la richesse de leurs nuances brillantes, orange, rose fragmentée de rouge, j’aurais demandé un jus frais que je serais allée boire en compagnie du marchant à la crinière poivre et sel , à la mâchoire incertaine, à moins que je me sois postée non loin des jeunes hommes beaux et forts qui tiennent le mur, pour sentir dans ma gorge couler le jus frais acide et sucré et les regarder tout à mon aise, discuter, rire, se battre un peu, rouler des mécaniques, et m’enivrer de leurs corps souples et lestes, du rire des enfants se chamaillant dans leurs jambes, et un peu plus bas , de la vision des chats et du coq réfugiés dans cahute du forgeron attrapant la chaleur, là, près de la meule stridente et des braises du four.

 

 

En lien avec le poème de Eugène Gomringer, Efface du mur de l’école où il était inscrit pour provocation à l’encontre des femmes (Berlin). Certains de ces textes ont été écrits dans le cadre d'ateliers d'écriture avec Laura Vasquez.

 

 

 

Galerie d'images (a suivre)

Rabat, la pêche
Rabat, la pêche

Le the vert a la menthe..

A suivre