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SPACE bicycle

Space bicycle

 

 

SPACE bicycle.

 

 

 

L’autre jour pour tester ma nouvelle bicyclette louée chez Décathlon, d’un joli bleu de prusse dont la batterie me garantit 90 km d’autonomie, je partis sur les sentiers  encore fleuris de cette fin d’été , explorer les pistes cyclables parsemées d‘anciennes gares posées sur l’herbe comme les chapelles Bretonnes du cap Sizun et profiter du rafraichissant chemin de halage du canal de Nantes à Brest.

 

Je traversai entre Carhaix et Rohan une nature superbe, d’un vert flamboyant, ou des arbres tricentenaires formaient comme une arcade très haut au dessus de ma tête.

 

Les  eaux du canal, contenus dans un écrin de granit, réfléchissaient les reflets de la rive et des belles maisons éclusières, j’avais accès à la campagne profonde du centre Bretagne, celle pour laquelle cet édifice avait été creusé, par des bagnards qui durent mourir comme des mouches, pour désenclaver une Bretagne sans routes ni voies express, ni encore maintenant, transports en commun, et pour notre plaisir de se balader 250 ans plus tard le long de ses rives.

 

Au passage l’architecture d’une abbaye encore à moitié en ruine, et de moulins gigantesques et vides aux toits d’ardoise crevés, les châteaux forts impressionnants de robustesse de Pontivy et de Josselin me renvoyèrent l’image d’une Bretagne autrefois extrêmement prospère et vigoureuse, mais passée par des temps très durs, d’ou un féodalisme qui s’exprime encore dans les manuels touristiques, ou il est fait état avec respect de la puissante famille de Rohan, qui vit à l’heure actuelle sans trop de chauffage dans deux pièces de son immense et superbe château, pestant contre les taxes foncière et l’impôt sur la fortune.

 

Un passé donc, toujours très présent dans une société immuable enracinée dans des valeurs ancestrales.

 

Longeant la foret de Brocéliande, humide et sombre, j’obliquais vers l’est dans une campagne d’immenses champs de maïs, sans beaucoup de végétation intéressante, parsemée de silos et de préfabriqués. Les mugissements des routes et la violence de la civilisation me sautèrent aux oreilles, moi qui pendant trois jours, avais savouré la lenteur, la douceur et le silence des eaux dormantes, les effluves d’un agro alimentaire omniprésent dans cette campagne, devenue fade en 20 km de pédalage, me laboura le tympan. C’est donc en toute logique que, débarquée à Rennes, pays de mes ancêtres, je me dirigeais vers le SPACE, grande foire agricole internationale, pour tacher de comprendre ce que l’agriculture moderne réservait à mon cadre de vie, et à mon estomac.

 

Le SPACE se déroule dans une dizaine de hangars immenses, on y mange, on y boit, on y rigole, on y fait des affaires, même les chinois y ont deux ou trois stands.

 

Tout autour des hangars sont disposées, à l’extérieur, des machines, tracteurs et autres engins en acier, aux formes impressionnantes et tarabiscotées, aux couleurs vives.

 

Les chinois, ceux que j’ai rencontré,  proposent différentes sortes d’acides servant autant au nettoyage des cuves qu’à la supplémentation de l’alimentation animale, qui aiderait beaucoup à la digestion. On les sent, bien sur, très concerné par le rendement et le productivisme. « You know , so many people to feed."

 

 

 

Donc d’abord allons voir du côté des éleveurs de porc, on trouve ici beaucoup de machines, pour inséminer, vacciner, et entraver les cochons dans des espaces restreints individuels, cernés par de grosses barres de fer, avec mangeoire au bout, c’est la que la bête existe, mange, boit, chie, dort.

 

De grands écrans vantent les mérites d’une race de truie qui peut produire 35 porcelets par an, la qualité de ce qu’on donne aux porcs et porcelets est sujette à un luxe de précautions, plusieurs sortes de céréales, maïs, soja, protéines avec des farines animales voire des vers de farine, et même des résidus de yaourt parfumés à la fraise, pour l’appétence du porcelet.

 

 Toute cette matière mangeable est présentée sous forme de granules, ou de poudre, sans aucun lien avec la matière première dont elle est issue.

 

Il faut ajouter à cette marchandise, les huiles essentielles et vitamines supplétives censées éviter maladies et donc l’abus d’antibiotiques, car le nombre de maladies qui guettent nos pauvres bestioles avant qu’elle ne soient abattues et débitée est impressionnante.

 

 Nos animaux de maintenant ont bien de la chance, autrefois on leur donnait quelques épluchures de patates et l’eau de vaisselle. Et puis c’est tout.

 

Les stands proposent des petits gâteaux et des meringues rose de la couleur du cochon, beaucoup de commerciaux sont la en costumes de blazer croisés représentant des firmes internationales, Néerlandaises, Canadiennes, Danoises.

 

Ils vendent des systèmes d’exploitation de porcheries, des aliments pour les porcs, des races de porcs, etc… Des modèles d’étables avec circulations et dispositifs d’aération et de surveillance, sont proposés, avec toute la machinerie électronique qui va avec,  pour, on l’aura deviné, la digitalisation de l’exploitation.

 

On notera au passage que la surveillance du personnel est prévue dans ce dispositif.

 

Le personnel en question je l’ai rencontré au détour d’un stand, ils étaient la à quatre ou cinq, le regard terne et le visage marqué de ceux qui n’ont jamais eu la vie facile. Apres un court échange impossible de recueillir leurs impressions.

 

Mais le magazine Porc Mag donne involontairement des indices sur ce à quoi leur métier, les confronte : sevrage précoce, canibalisme, meulage des dents, IA insémination artificielle. etc…

 

Dans cette brochure il est décrit aussi que les cochons sont sociables pas du tout agressifs, mais un peu pot de colle. Et que ceux qui posent problème ce sont les cochons qui trainent, qui consomment de l’aliment et dégradent les indices. Comme quoi dans une société, hommes ou cochons, il y  a toujours des éléments perturbateurs.

 

 

 

Au cœur du stand principal des propriétaires d’exploitations porcine, productivistes, poussent leur plainte, auprès du président de la région Bretagne, qui se sentant acculé, et peut être conscient des limites que ce que sa région peut supporter en terme d’agro alimentaire, de pollution des eaux et des sols, de défiguration des paysages, se réfugie derrière le consensus et les directives européennes.

 

Un peu plus loin, le commercial d’une firme vendant des vaccins et des médicaments refuse de me donner un catalogue des produits proposés pour soigner les bêtes , j’aurais juste droit à une carte de visite pour de plus amples renseignements éventuels et à deux tartines de rillettes de saumon.

 

 

 

Attirée par les robes somptueuse des vaches normandes, pareilles à des cartes marines , ou affleurent les archipels d’iles au raz des flots,  taches marrons sur des robes d’un crème beige rosé et laiteux, je me précipite du côté des éleveurs de vaches et des généticiens, je traverse précautionneusement les travées bordées de taureaux énormes aux couilles conséquentes et pendantes,  aux muscles tendus sous la peau à faire péter leurs ligaments, on les dirait prêt à exploser au propre comme au figuré, il fait trop chaud.

 

Je demande naïvement à un vieux petit monsieur hilare, ce qu’on leur donne à manger pour que les pauvres bêtes en arrivent la, il a l’air de s’y connaitre, et me réponds : « du foin, rien que du foin, c’est la race qui fait ce qu’il sont ». Il m’explique aussi qu’en fonction des races, on trouvera des bêtes à viande, qui donneront un bon steak persillé et des vaches laitières qui donneront du lait.

 

Celles la je les trouve du côté des Montbéliardes, leurs pis énormes gonflées de veines tendues à l’excès demandent à être soulagées, la génétique leur a fait des mamelles énormes qui tombent presque à terre, entravant leur démarche.

 

Je n’ai pas rencontré d’éleveur qui n’aime pas ses bêtes, tous sont soucieux du bien être de leurs animaux, surtout du côté des vaches, devant moi deux jeunes apprentis essuient les mamelles d’une génisse avec des lingettes pour les fesses des bébés.

 

Enfin j’arrive chez les généticiens qui très fiers et bons enfants proposent un taureau sans cornes qu’ils auront mis 60 ans à créer à partir du gène anglais Angus.

 

Un taureau sans cornes, des vaches aux pis qui tombent par terre, et aux robes digne d’un tableau d’art contemporain.

 

La génétique me laisse rêveuse, si on en reste la.

 

Il paraît que les gens qui mangent de la viande en France consomment plutôt des entrecôtes, et des tournedos, le reste part dans la viande hachée. La génétique pourra t’elle dans quelques temps produire des animaux qui auront plusieurs culs, pour le filet et une double colonne vertébrale, pour les entrecôtes comprises entre le 5e et la 11 e vertèbre du train de côtes de la bête ? Ou du monstre?

 

 

 

A nouveau, autour des animaux, toujours les mêmes stands proposent des compléments alimentaires, poudres de tanin, mélange subtil d’huiles essentielles composées de plantes venues du Sri lanka, ce qu’on donne à manger aux bêtes est vraiment au cœur de toutes les préoccupations. Un agriculteur m’explique que le maïs ne pousse que pendant quatre mois et ne mérite d’être arrosé que pendant ce temps la, ce qui comparé au blé qui pousse en neuf mois est plutôt avantageux.

 

Un autre me vante une fermentation de blé qu’il mélange à la nourriture de ses bêtes pour plus d’efficacité, un autre encore, les délices de la luzerne séchée en granulé.

 

Je passerai au pas de course sur toutes les solutions visant à réduire la consommation d’énergie de tout le matériel lié à l’élevage, extracteur d’odeurs, méthanisation du fumier, et qui proposent (en plus des champs de maïs, des silos, des étables, des citernes en préfabriqué,) comme on planterait des betteraves au kilomètre : de poser des rouleaux de panneaux solaires flexibles dans les pâturages.

 

Sans oublier toutes les ingénieries liées à la construction des méga bassines qui font intervenir pléthore de corps de métiers liées au bâtiment, du terrassement à l’imperméabilisation des sols, aux tentatives de couvertures faites avec des pneus, aux pompage , à toute techniques innovantes pour, creuser , plastifier, tuyauter, remplir.

 

J’aurais pu aller jeter un œil aux poules et aux lapins et aux brebis , mais j’en avais assez vu pour me faire une idée des joies de l’agriculture moderne.

 

 

 

 A vrai dire je suis sortie de la, inquiète avec la tête pleine de questions.

 

 

 

 

 Visiblement, l’agriculteur est pris en otage par des firmes qui font pression pour lui imposer un mode de fonctionnement et des produits supposés indispensables pour assurer un rendement maximum avec à l’autre bout de la chaine ses produits bradés aux supermarchés par ces mêmes firmes ( voir le scandale Lalcatel).

 

Dans ce type de fonctionnement tout est mesuré à tous les niveaux de la chaine de reproduction, dans une négation totale du vivant, animaux comme ouvriers agricoles.

 

C’est absolument flagrant chez les éleveurs de porcs .

 

Le cochon est l’animal qui avec le chimpanzé ressemble le plus à l’homme, on greffe des valves cardiaques de porcs, des coeurs de porcs et des foies de porc aux hommes.

 

Comment peux t’on traiter de la sorte nos presque semblables sans se poser quelques questions ?

 

 

 En regardant le SPACE avec des yeux de néophyte, me saute à la figure que ce système pousse à des dérives qui vont à l’encontre du bon sens.

 

Les fermes devraient produire ce qu’elles consomment et donnent à leurs bêtes.

 

Avec un nombre de têtes qui correspondent à la taille de leur exploitation.

 

A voir tous les compléments alimentaires, on imagine que le sol gavé d’engrais depuis des lustres ne suffit plus à assurer un apport nutritif convenable.

 

Sait on encore diversifier ses semences, et mettre en jachère pour sauvegarder la valeur nutritive de son pré ? Ce n’est pas en tous cas ce qui est enseigné dans les écoles d‘agriculture puisque certains stands proposent ce service sous le nom pompeux de cabinet de conseil. Les élèves des lycées agricoles, lorsqu’ils sont conscients de ces dérives, car ce n’est pas toujours le cas, vous diront qu’il est bien difficile de prendre une autre voie que celle qui leur est proposée à la fin de leurs études, les lobbys ont leurs clients captifs bien en main des le départ.

 

 

 

En allant dans le sens d’une exploitation productiviste la génétique tend vers une fabrication de bêtes difformes qui génère petit à petit  souffrance animale.

 

Et celle ci elle est omniprésente dans toutes les propositions qui sont faites au SPACE, même si l’alimentation semble être le premier souci des éleveurs, dont les bonnes intentions sont touchantes à vrai dire.

 

Peut on toujours se réfugier dans les arguments qui consistent à dire qu’il nous faut nourrir la planète pour justifier d’une agriculture intensive ?

 

La nourriture devrait  pouvoir se semer et se récolter la ou les gens vivent.

 

Les progrès de la science techniques et génétiques peuvent aider à cela.

 

Et pourquoi faudrait il toujours brandir le spectre de l’emploi pour justifier de développement d’une agriculture productiviste qui appauvrit les sols, enlaidit l’environnement, rend les gens et les bêtes malades et pollue ?

 

Pour le profit ?

 

Il est évident que si maintenant, le monde agricole ne change pas radicalement ses méthodes, il va droit dans le mur et nous avec.

 

Au SPACE, on camoufle les engrais, les vaccins et les produits vétérinaires, mais vu le type d’agriculture qui y est promue je n’ai aucune certitude sur la qualité de ce que je met dans mon assiette.

 

Il faut revenir à une agriculture raisonnée, locale, inventive, sobre, à une science agricole qui laisse la nature et ses lois reprendre le pouvoir et qui incite le consommateur à se nourrir autrement.

 

Ce matin à la radio j’entendais les commentateurs parler de la révolution Iranienne en disant que la solution viendrait des résistances locales, il est bien possible que pour l’agriculture ce soit la même chose, que les petits producteurs inventent leurs circuits courts et que la population s’y adapte, ou que les gouvernements qui finalement ont plus de recul que les éleveurs qui ont le nez dans le guidon, puissent  faire entendre raison à ces firmes qui poussent à ce système écocidaire et suicidaire et porte atteinte, à notre santé, nos appétits, et à la dignité humaine, affadissant nos assiettes, enlaidissant nos paysages et les beaux métiers d’agriculteurs et d’éleveurs.

 

 

 

Claire Denieul le 17 septembre 2023