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Les very bad mothers (Lettre à Corinne) Masiero

Lettre à Corinne ( Masiero)

 

 

 

Salut Corinne,

 

 

 

Le week end dernier, sous une petite pluie fine, une crachinade du grand ouest je me suis rendue à un petit festival féministe, dans un trou paumé, et superbe de la Bretagne profonde, à la MJC de Tregunc, le Sterenn. Et figures toi que tu y étais aussi,  Gast !

 

Visiblement on a pas vécu les mêmes choses, alors, je vais te raconter moi, ce que j’y ai trouvé.

 

D’abord quelques semaines avant, j’avais été alertée par un encart plein d’humour que je ne pensais pas voir ici;   les « very bad mothers, »  organisation politique Bretonne mettaient en chantier une nouvelle édition de leur festival sur la thématique de l’agisme,  comment vieillir en restant punk, sujet pas piqué des vers, liant avec humour et finesse : fête, bières, sexualité, galette saucisse, et questions de société, un drôle de mélange qui en principe aurait du correspondre à tes propositions artistiques et c’est la raison pour laquelle elles t’avaient invitée. 

 

Tu n’étais pas payée, car le festival s’était fait presque sans un rond, avec une souscription trois semaines à l’avance et un max de bénévoles, et tu avais généreusement accepté de t’y produire gratuitement, histoire je suppose de construire et tester ta performance, détail que tu n’as pas manqué de nous dévoiler sur scène lorsque tu as senti les quelques réticences qui se manifestaient lors de ta prestation.

 

Peut être n’as tu pas compris ce qui s’est passé, parce que ça a du être violent pour toi aussi, de te faire virer après 30mn de concert, tu t’es peut être sentie un poil rejetée, après avoir exigé d’être logée dans une maison pour toi toute seule, même la personne qui t’accueillais n’y était pas admise.

Rejetée, après avoir mis tellement de temps à faire des balances inutiles vu le degré zero de ta musique,  que le spectacle entier qui devait être le point d’orgue du festival, avait pris 40 minutes, de retard . finalement que l’orga fut obligée de supprimer le concert d’une bretonne moins connue que toi qui devait aussi jouer dans la soirée.

 

 

 

Alors je t’écris pour que tu comprennes ce qui s’est passé et la ou tu était tombée, parce que ce n’était pas tout à fait un endroit ordinaire, comme ca  tu sauras ce qu’il faut faire lorsqu’on veut vraiment percuter avec son « art », toucher les cœurs et les esprits .

 

Sache le, il faut toujours regarder à deux fois ou on met les pieds, le contexte a autant d’importance que la chose elle même.

 

 

 

Donc pendant trois jours avant que tu arrives, des femmes et des hommes, mais bien plus de femmes, venues de toute la Bretagne et toute la France, des universitaire et des chercheuses aussi, s'étaient déplacés pour assister à des conférences, des causeries, des ateliers, pour envoyer péter les normes et les genres, parler d’une vieillesse qui doit se réinventer sous peine de mort, et aussi panser leurs plaies: des fracassées de la vie mais pas que, des lesbiennes, des queer, des trans mais pas que..

 

Un monde alternatif, en plein questionnement, en recherche d’autres valeurs, d’une autre société.

 

Donc ces gens s’étaient retrouvés, s’étaient reconnus, avaient échangé, raconté leurs histoires, rigolé et festoyé, ils s’étaient fait du bien, avaient compris des choses sur eux, et les autres, enfin ils étaient en chemin de le comprendre, en trois jours une maturation avait commencé à s’opérer, je dirais même peut être un grand soin collectif, du genre de celui dont nous aurions tous besoin.

 

 Et quelquechose était sorti de tout ça, d’extrêmement positif et bienfaisant, dans un respect et un souci de l’autre, une gentillesse, une bienveillance, la préoccupation constante que tout un chacun est une personne qui compte, quelqu’elle soit, et que quiconque, quand bien même son degré de notoriété n’a plus de valeur qu’un ou qu’une autre.

 

 Voilà cette sensation d’empathie, je la reconnais chaque fois que je me retrouve dans des rassemblements à la marge, des lieux comme la jungle de Calais , Notre dame des landes, Nuit debout, des endroits ou on essaye de reconstruire un monde meilleur , de palier aux manques, aux incohérences, et à l’absurdité destructrice de notre société.

 

Je ne sais pas si tu l’as remarqué mais comme ce qui nous arrive individuellement ricoche avec l’actualité du monde entier, forcément, les consciences s’ouvrent les unes après les autres avec ce type d’évènements.

 

 Donc ce soin collectif avait commencé a opérer, comme lorsqu’on sort de chez l’ostéopathe vois tu, ou de chez le masseur ayurvédique , ou tu as juste besoin d’une bonne bouffe et d’un bon lit pour être en forme le lendemain.

 

Et la, Corinne, moi qui étais dans la salle, et qui pourtant avais vraiment aimé ton intervention aux Césars, ou tu faisais  don d’un corps scarifié au feutre rouge, marqueur de tes blessures à la place d’une robe de gala.

 

Moi, Claire, je suis sortie au bout de dix minutes. 

 

Les nouilles étaient trop cuites, le fromage plein de vers et le pinard vinaigré, le lit, une paillasse pleine de punaises.

 

En fait, j’ai fait un aller retour parce que quand même c’est dommage de fuir les expériences extrêmes. Je suis donc revenue pour voir jusqu’ou tu irais dans le sordide, le violent, et le degueulasse, dans la provocation crasse.

 

Le sang, le sperme, la kro, noyé dans un son d’une pauvreté confondante.

 

Tu sais la Bretagne est un pays de musique, on ne peux pas tricher avec la musique comme on triche au théâtre ou au ciné, les bretons savent tout de suite ce qui est bon, même parmi le plus trash des groupes, donc déjà de ce coté la c’était cuit, mais tout de même on était encore attentif à ce que tu avais à nous dire, d’une façon ou d’une autre, dans une ouverture presque canonisable, puisque tu avais tellement souffert, ce qui te reliait à une bonne partie de la salle qui te recevait comme une sœur de douleur.

 

 ET voilà ce que tu avais à nous dire était encore pire que la musique, juste des mots , viol, inceste, règles, des mots, brandit, hurlés, marionettés, sans recul et sans art, même dans la violence..  C’était une agression, brute et bestiale envers un public en pleine montée d’amour pour son prochain comme une montée d’acide. Et toi sentant le vent tourner tu as versé de l’huile sur le feu : tu as commencé a protester en disant donc que « oui quoi ?  A quoi est qu’on s’attendait, c’était ce qui nous était arrivé à toutes alors "de quoi vous plaignez vous" » et que «  tu étais venue gratos, alors  etc.… »

 

 

 Entretemps des filles étaient sorties en pleurant, d’autres choquées, indignées avaient suivi, des organisatrices commençaient à perdre patience et à douter de leur programmation et du succès de la fête finale.

 

 

 Et la, ce qui devait arriver arriva, une petite rousse un peu bourrée, à qui ces jours d’échange et de sororité avaient redonné confiance et courage, est montée sur scène a pris le micro pour te dire qu’elle n’était pas d’accord, que des gens étaient mal, que c’était la fête et que tu n’avais pas le droit de faire ca comme ca, et que ce que tu nous montrais, en quelque sorte n’était que du mépris.

 

 Puis il une bouteille a atterri mollement à l’avant scène, comme un pétard mouillé et quelqu’un s’est trouvé mal.

 

Et toi comprenant peut être que tu t’étais trompée et avais été trop loin, tu as saisi ton micro pour soutenir la personne qui faisait son malaise, demander qu’on ouvre les portes et surtout que tout le monde entende bien, ce que tu lui disais dans le micro,

« ca va bien ma loute, tu va mieux ma louloute, tu vas mieux ?», pigeant enfin la ou tu étais tombée .

 

Mais trop tard, l’interruption annoncée de dix minutes s’est transformée en un départ définitif. Et la fête a repris plus tard avec d’autres sans toi.

 

 

 C’est à l’aune de cette histoire que j’ai compris la valeur du travail qu’avait opéré ce festival sur les âmes et les consciences, et qui avait donné à une petite femme ordinaire, juste festivaliere, la force de te remettre à ta place, et de te renvoyer l’ascenseur.

 

Au plot les vedettes donc.

 

 

 

Les very bad mothers ont repliés leurs tentes rangés leurs stick à levres tricoté au crochet en forme de bite, leurs vulves accrochées à des corps de dinosaures moulés avec des imprimantes 3D, elles ont remballés leur imaginaire débordant, leur libido en berne, compté leurs sous, jusqu'à leurs prochain méfaits, pour qu’au pays breton les consciences s’ouvrent comme avec de la dynamite, façon Yoko Ono.

 

 

 Voilà Corinne, peut être qu’au lieu de faire des balances inutiles, si tu t’étais un peu baladée dans le festival, regardé les bouquins des petits éditeurs, les cartes, les objets, l’intérieur des caravanes, tu aurais compris la ou tu tombais, bien loin des plateaux télés ou on te victimises, avec ton assentiment, dans la mouvance Despentes sur laquelle tu dégringoles, te livrant à une exploitation de ton propre malheur mais aussi à celui d'autrui. Tu sais,  tout le monde se trompe, tout le monde fait des erreurs, ce qui est bien c’est de comprendre, d’être honnête avec soi même et les autres, mais bon ça n’est pas donné à tout le monde.