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Un cri de guerre, SONOMA

« SONOMA », UN CRI DE GUERRE ADRESSE AUX FANTÔMES

SONOMA
75e FESTIVAL D’AVIGNON. « SONOMA » – Marcos Morau – Cour d’honneur du Palais des Papes 22h.

“Un cri de guerre et de révolte adressé aux fantômes.”

Au sein du magnifique dispositif mis en place au centre de la cour d’honneur par Olivier Py et son équipe, qui vu du dessous comporte presque autant de boulons que la Tour Eiffel mais où, sur le dessus, chaque place est la meilleure; voir tout ce monde rassemblé, dûment masqué, testé ou vacciné est en soi un spectacle réjouissant.

Sur scène, des écrans, et au centre une immense croix en bois entourée de cordes. Tout indique une certaine austérité, pour ne pas dire frugalité. Un petit voyage dans un monde rythmé par la nature et la religion. Où émergent les matières premières, le bois, la corde et la pierre grise du Palais des Papes que l’on devine dans l’obscurité.

Et c’est au son d’une musique flamboyante, faite de tambours de peau tendues, d’instruments de percussions mêlés à des chants polyphoniques de gorges et de palais à la fois, où la bouche toute entière sert de caisse de résonance, que les danseuses apparaissent dans leurs grandes robes à crinolines et leurs petits bonnets, presque juchées sur des patins à roulettes tant leur démarche, égale dans l’horizontalité est rapide.

D’accord, Marcos Moreau est un espagnol de Valencia qui porte dans sa chair le folklore rural des provinces espagnoles faites de montagnes et de mer, mais pour autant nous sommes transportés à dessein en Corse, dans les Balkans aussi bien qu’au Pays Basque par les gestuelles, les éléments de costumes, les sons, dans un pays où la nature d’une force exponentielle rythme les croyances, les rôles, les actions. Marcos Mauro a ici créé un vocabulaire chorégraphique qui exalte les matières travaillées par les femmes dans une ruralite internationale, globale, imaginaire, où les savoir-faire se répondent. Le rapport au tissage et à la broderie par exemple. On se sent transporté dans un monde de nappes basques, de linges fins brodés dormant parmi les grains de lavande dans de hautes armoires en bois, de coffres massifs enfermant des costumes aux motifs géométriques. Au cœur d’un d’art populaire ancestral. A l’endroit des racines et des origines.

Dans cette ruralite la guerre, qui embrase les maisons, et la mitraille qui fait de la dentelle avec les crépis arrosés de balles, est omniprésente. La danse, sur des sons qui deviennent des cris et des sifflements d’obus, des explosions au loin, appelle à une gestuelle cassée où chaque mouvement n’est que torsion et se termine en danse de mort, les têtes occultées dans un dispositif à la Vessel, donnent une présence particulière aux corps et séparent les torses des jambes, et les bras des troncs, on se croirait à Guernica chez Picasso. Le tambour violent comme une bombe fait tressauter et se retourner les corps. L’espace entier de la cour du palais des Papes et ses murailles qui flambent sont convoquées pour participer à cet étrange ballet.

 

Enfin ce terrible vocabulaire gestuel se transforme en une esthétique joyeuse, harmonieuse et jubilatoire, avec l’arrivée de danseuses en robes bises. Avec la lumière diffusée doucement par de petits ballons phosphorescents, la scène prend des allures de sous bois éclairés par des vers luisants. Se succèdent des solos et les scènes de groupes ou l’on sent se jouer un destin collectif tragique et quotidien, soutenus par une bande sonore toujours faite de chants, de percussions lourdes et de sons électroniques presque métalliques.

Les grands coffres dédiés au matériel technique suggèrent, soit des coffres remplis de linge blanc et odorants, navigant entre cendres et lavande ou des cercueils d’enfants, ou de vieux, des personnages aux têtes énormes issues du folklore espagnol s’y enferment. Des ombres portant leurs auréoles comme un fardeau, ribambelle de saints d’églises romanes, traversent les écrans, on navigue entre visions, suggestions, ombres portées, coups de canons, feux d’artifice dans une danse extrême et exacerbée, tendue comme une arbalète ou le corps élastique se distend pour ne pas se casser.
Puis des femmes parées d’immenses coiffes de grosses fleurs blanches font leur apparition, jouent un peu, déposent sur les boîtes leurs parures.

C’est fini, dans un tonnerre d’applaudissement et de rappels. Pour sortir, la foule défile malgré elle devant la boîte jonchée de fleurs comme lors d’un enterrement. Un magnifique spectacle, une ode au monde simple des femmes, aux matières, à la nature, comme un cri de guerre et de révolte adresse aux fantômes , à l’adversité et à la mort. Puissant.

Claire Denieul