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une fin d'apres midi avec DANA WYSE

                                    Une fin d’après midi avec Dana Wyse,

 

Dana Wyse  est une petite bonne femme discrète avec un bonnet de père Noel rouge à pompon vissé sur la tête, qui distribue généreusement ses œuvres en carton, comme des friandises, avec l’air facétieux de ceux qui sont entrain de faire une bonne blague.

Mais, c’est tout a fait sérieux, les produits de « Jésus had a sister production » qui est sa marque, sont maintenant distribués dans les bonnes boutiques de quartier  au Canada et aux Etats Unis, des stations services aux drugstores.

La démarche de Dana Wyse qui s’inscrit dans un système économique classique a un double intérêt celui d’être un révélateur des problèmes de son temps comme œuvre d’art et aussi une entreprise commerciale,  « Jesus had a sister » en temps qu’entreprise est aussi une oeuvre artistique, pensée comme telle, partie intégrante du projet global. L’artiste, le créateur se place d’emblée comme un entrepreneur/ artisan ou une « bisness artiste » assumée ayant son propre espace économique, ce qui la met sur un pied d’égalité avec le reste de la société avec un petit clin d’œil en plus : Jesus had a sister qui s’appelle Dana, c’est ainsi que l’artiste se place au centre de son œuvre en revendiquant mine de rien son rôle de créateur.

Donc nous avons les gélules, les baumes à lèvres, les déodorants pour voiture, et quelques autres support, ayant pour argument de vente une imagerie tirée des années cinquante qui promet instantanément des choses magiques ou impossibles par le biais de l’ingestion des  substances qu’elle met en avant.

 To be white , to be black, not to have ugly children etc..  Des panoplies de policiers qui vouent les enfants à une homosexualité certaine, et du rouge à lèvres pour se rappeler des choses qu’en principe on n’oublie pas.

Ces sachets de gélules, elle les fabrique de façon artisanale, elle même, une par une, rien n’est oublié, aucun label, aucune mention, aucune légende. Rien qui permette de les distinguer au premier coup d’œil d’une plaque toute bête de bâton de colle Uhu, dans un look entre les farces et attrapes, les jouets pour enfant et les produits pharmaceutiques.

Dana Wyse vends du rêve, mais son rêve est malicieux et aiguillonne la société à la quelle il s’adresse, légèrement mais sur des questions profondes, voire encore taboues, le racisme, l’homosexualité, l’adultère, la toxicomanie, le nucléaire, la religion, en renvoyant des images d’une société américaine des années cinquante, avec des codes très affirmés, sur les cartons de ses gélules ou de ses bâtons à lèvres elle pose avec les images et en adéquation avec la fonction du produit vendu, une successions de questions qui tuent, et qui sont comme autant de bourdes dans un univers ou les poupées n’ont pas de sexe et ou les garçons se déguisent tous en policiers.

En utilisant une terminologie commerciale de publicité surannée, elle raille la société de consommation actuelle et nous propose de sonder les limites de notre propre crédulité. En travaillant à partir d’une pharmacopée fictive, proposées en vente libre au rayon des jouets,  permettant des transformations inattendues, elle flirte avec l’idée de la drogue dure en vente libre, avec les produits nocifs contenus dans les aliments, les vêtements, les jouets, elle critique les industries pharmaceutique et l’utilisation massives de médicaments très rentables pour ceux qui les fabriquent et en font la promotion, notamment en direction des enfants ( ex : ritalyne conçue pour rendre les enfants sages).

Dans cet univers, a mi chemin entre Harry Potter et les guérisseurs Philippins, qui convoque à la fois la magie et le placébo, le geste a son  importance, avaler, déglutir, renifler, se passer du baume sur les lèvres d’un geste de la main comme on jette un sort, ou comme on se glisserait sous une cape d’invisibilité.

On se laisse aller a croire que peut être il est possible qu’on devienne noir ou célèbre comme promis en cinq secondes, on ne sait jusqu’ou peuvent aller les capacités de notre cerveau s’il est conquis, et demande à croire.  Ainsi fonctionnent les guérisseurs Philippins, qui gardent dans leurs mains dès le début de l’opération un morceau de gras de poulet, pour pouvoir montrer en un clin d’œil a leur patient la tumeur qu’ils ont retirés de leur estomac. Ceux ci croient, et cette croyance a le pouvoir de guérir leur corps.

En fabriquant ses produits de façon artisanale,  Dana Wyse charge ses gélules et ses sachets de vibrations, d’attention et de soin, en les diffusant par le biais d’une société bien réelle, avec registre du commerce et numéro de Siret , elle place le concret au cœur de sa réalisation, elle fait le grand écart entre une réalité économique et les fantasmes ordinaires d’une société ou la science et la magie et la force de l’imaginaire voyagent de concert.

Même si l’exposition de son travail dans la Galerie de la Sorbonne était tout a fait convainquant et entrait en résonance avec le public étudiant de la Sorbonne c’est dans un drugstore qu’il est le mieux mis en valeur et prends tout son sens.

En positionnant discrètement dans les étalages parmi tant d’autres ses petits sachets, Dana Wyse laisse aux individus seuls le pouvoir de basculer ou non dans ce monde sensible presque onirique,  ou sucer des bonbons à la menthe a le pouvoir de résoudre les problèmes de maths.  Plus l’opération est discrète mieux c’est, le questionnement se passe entre l’objet et soi .

En envoyant à sa place, lors des promotions de son travail,  une ancienne strip teaseuse, Dana Wyse passe de la supercherie à l’imposture ; elle enveloppe l’ensemble de son geste artistique d’un  manteau de faux semblant, assimilant joyeusement la sœur de Jesus à Marie Madeleine, détail juste décelable par ceux qui, observent, réagissent et réfléchissent par eux mêmes. Marie Madeleine , prostituée notoire, sœur de Jésus, qui s’instaure par la même guérisseuse et faiseuse miracles, c’est une façon très féminine de prendre le pouvoir en exaltant les qualités de soins propre à la femme dans la culture traditionnelle occidentale qui correspond a l’imagerie qu’elle utilise, la liberté que Dana Wyse prends de se réapproprier l’histoire sainte en adjoignant à Dieu une sœur, sous entend peut être avec malice, qu’après tout sait on jamais, si Jésus à une sœur,  Dieu pourrait bien être une femme. Ce personnage créé par le nom « Jesus had a sister » incarné par une prostituée dans la société profondément religieuse d’Amérique du Nord, prends du coup une aura surnaturelle et scandaleuse, multidimensionnelle, d’un côté la pute qui soigne et exauce les vœux les plus saugrenus, les plus inavouables, qui fait don de son corps et de sa science et de l’autre côté Dana Wyse petite femme discrète, mère Noel caustique,  qui dans son mobil home fabrique de façon artisanale et poétique, dans le fin fond enneigé du Canada, ses gélules miracles conçues pour piquer la morale  comme le feraient les éléments d’un jeu de fléchette.

 

Finalement voilà ce que nous suggère le travail de Dana, cultiver  cette attitude et ce regard attentif, envers les choses, les gens et le monde, s’interroger sur tout, de tout, et garder une pensée originale et indépendante, et aussi se réserver quelque part la possibilité de croire, croire que des choses improbables se passent quand même, surtout lorsqu’on ne s’y attends pas.

 

Cl@ire le 12 /2/2017