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LULLABY EXPERIENCE, Pascal DUSAPIN

« Lullaby expérience » – Conception et création musicale – Pascal Dusapin – Mise en scène: Paul Guth – les 1er et 2 juin 2019 au 104, Paris.

« Douce réminiscence dans les replis d’une histoire de brume et de plumes. »

L’enfance est un thème porteur qui a déjà inspiré Pascal Dusapin, on se souviendra de ce très beau Disputatio de Alcuin, un dialogue en latin, série de questions réponses entre un maître et son élève, sublime texte mis en musique et représenté à la philharmonie de Paris en 2015. 

Ici le propos est autre, pas de texte mais un ensemble de comptines, de berceuses recueillies par le biais d’une application, une matière de mots de sons, de soupirs, chuchottis, fredonnés, soufflés, doucement chantés qui seront mixées, découpés, cisaillés, augmentés, une matière dans laquelle tailler, modeler .

A l’heure des ordinateurs la musique devient de la sculpture.

Alors que le public fait la queue pour rentrer dans la salle de spectacle on lui distribue des chaussons en papier, comme pour s’introduire dans une chambre stérile, les deux pieds dans dix centimètres de plumes, la petite centaine de spectateurs se masse autour d’un lit immense à moitié enfoncé dans un sol mouvant, où dort une petite femme enfant. L’air est saturé d’une fraîche buée, presque nuageuse, d’immenses oreillers blancs et une couette aussi vaste qu’un lac recouvrent le lit en fer démesuré .

On ne sait dans quoi on flotte au rez de chaussée ou au plafond.

Des voix meublent le silence, aériennes comme celles des anges, on reconnaît ça et la une comptine qui vite disparaît happée par un brouillard de sons. 

Les personnages défilent, la mère ou la gouvernante chargée d’un énorme livre, un clown,un homme avec des échasses, un autre avec un masque d’oiseau, une danseuse en tutu, tous issus d’un imaginaire enfantin et désuet, se relaient au chevet de la fillette qui ne peut trouver le sommeil. On assiste à un étrange rituel du coucher, entre rêve et réalité qui transporte à la lisière du sommeil, le spectateur presque voyeur explore cette frange de matière temps d’entre veille et endormissement, un voyage dans la ouate, dans le coton, monde intime de l’enfant ou la femme est tolérée mais d’où l’univers masculin est banni. Un monde au bord du lâcher prise ou se mélangent les archétypes des chambres d’enfant, le soldat et la danseuse, le géant, où se profile une montagne de doudous. Le public comme les sons est mouvant, se déplace dans la blancheur, laisse affleurer les souvenirs parfois lointain. Assis sur un même cube, trois messieurs d’âge mûr à barbichettes et moustaches blanches, se remémorent les yeux clos, leurs intimes terreurs nocturnes d’antan, les enfants jouent par terre avec les plumes, le public se déplace par grappes au gré du mouvement des cubes mus par les personnages qui défilent dans une envoûtante pantomime.

Puis entrent en lice les musiciens, à côté de moi debout sur un cube le joueur de basson souffle des sons profonds, granuleux et graves en contrepoint de la bande son.

Il y a autant à voir qu’à entendre dans la grotte, les spectateurs , le nez en l’air, la tête dans les songes, se remémorent, qui Nicolas et Pimprenelle, qui le temps passé à endormir l’enfant récalcitrant, résistant au repos, tout est lié dans une même nébuleuse les années et les générations se confondent, de rituels en rituels, l’enfant cédera le pas au sommeil, 

Douce réminiscence dans un brouillard de sons de brumes et de plumes.

Hommage à l’enfance, la patience, la douceur que vient troubler un peu d’angoisse, celle de s’anéantir dans un lit de sensations et de souvenirs, et de tomber dans le puits sans fin d’un sommeil habité de peurs enfantines.

Pour cette version de Lullaby, 48 personnes se sont relayées, acteurs, techniciens, décorateurs pour le bon déroulement de la performance.

Pascal Dusapin compositeur maintenant grand père, sensible et génial, a su adapter sa musique aux outils de son temps, faisant résonner dans une même harmonie, l’espace, le son, la matière. Et les songes.

Claire Denieul