FESTIVAL D’AUTOMNE. « A Invenção da Maldade » – Une pièce de Marcelo Evelin/Demolition
Incorporada – Conception et chorégraphie, Marcelo Evelin – Du 15 au 18 octobre 2019 – CND
Pantin, dans le cadre du Festival d’Automne 2019.
inferno-magazine.com
18.10.2019
Le sabbat des centaures
Le Centre national de la danse a Pantin, bâti en bordure du canal possède des espaces insoupçonnés,
que je découvre à chaque fois que j’y vais voir un spectacle.
Cette fois-ci, après s’être délestée de mon sac au vestiaire comme me l’a gentiment conseillé la dame
de l’accueil, je procède à une descente aux enfers, et me retrouve deux étages plus bas dans une salle
sans fauteuils, où on me dit que je peux m’assoir où je le désire. Là, cinq hommes et deux femmes
entièrement nus, négocient l’espace avec le flot des spectateurs qui déferlent.
La nudite au spectacle n’est jamais anodine et induit chez le spectateur une distance. On ne vient pas
se poser à côté d’un corps nu comme on le fait d’un corps habillé. D’autant plus que ces corps se
meuvent d’une drôle de manière, le regard presque rentré, ils ont des ébauches de gestes coordonnés,
un peu comme lorsqu’on a réchappé d’un trauma crânien…
Au moins deux bûchers rythment l’espace, des cloches sont accrochées tout autour de la scène en
l’air, parfois une bouffée d’air amenée par un ventilateur les fait tinter de manière aléatoire. Tout
semble calme dans ce décor alpestre. Si ce n’est ces gens nus qui déambulent comme dans l’attente de
quelque chose qui va advenir dans un futur proche….
Le temps élastique se distend, et enfin laisse échapper les sons lourds d’un tambour. La danse peut
commencer, une drôle de danse totalement animale faite de sexes qui ballotent, de fesses qui
tremblent, de seins qui tressautent, de reins qui se cambrent, de mouvements désarticulés.
Les yeux rentrent dans les orbites, les pieds frappent le sol, la sueur coule le long des dos et habille
bientôt les corps d’une pellicule luisante. Une danseuse affalée sur le sol prend des poses à la Rodin
dévoilant un sexe recouvert d’une toison fauve, d’autres ébauchent les rythmes et les portés d’un
simulacre de fornication, l’ambiance est électrique, une odeur âcre de sueur envahit la salle, la danse
elle-même ferait presque s’embraser l’amoncellement de bûches posées en deux endroits sur le lino
noir du plateau.
Les spectateurs scrutent les corps, le regard fixé sur certains plus que sur d’autres. C’est souvent
comme ça lorsque l’on voit des gens nus sur scène, on choisit ceux qu’on regarde, dont on détaille les
moindres gestes. On les observe, on se repaît de leurs muscles, de la forme de leurs membres, de la
couleur de leur peau. Et eux reçoivent ces regard, les sentent et s’en servent pour fendre l’espace de
plus belle.
La danse devient transe, cérémonielle , célébrant un dieu inconnu dans une drôle de langue. Dieu ou
le diable. Je me sens ramenée aux récits de sabbat où tout est inversé, où les sorciers dansent dos à
dos et s’accouplent à la lueur des flammes.
Bientôt l’espace de leur suffit plus, des grappes de danseurs, les corps luisant agglutinés, se déplacent
et chassent les spectateurs de l’espace personnel qu’ils se sont mentalement créés. Certains fuient,
accusent le choc qui n’est jamais très violent, qui dérange un peu juste, d’avoir à être approché de très
près par ces corps chauds luisants, un d’entre eux va chercher une calebasse et les habille du geste du
semeur d’une poudre, qui colle immédiatement aux peaux suantes. Puis le son des cloches
tintinnabulant réapparaît derrière celui du tambour qui martelait l’espace, cette chose interne qui
faisait se mouvoir ces muscles, saillir les côtes, tressauter les hanches, creuser le dos, vriller les tailles,
ces mouvements de têtes accompagnés de cheveux dégoulinants qui bougent fouettant l’espace, ces
regards torves disparaissent, sans bruit dans un coin de la salle. Restent les spectateurs unis dans un
tonnerre d’applaudissements, les vidages rosis de contentement réenergisés par cette danse / transe
offerte si généreusement .
Ils nous ont transportés dans un âge archaïque où les hommes et les chevaux ne faisaient qu’un, dans
une animalité sacrilège, une transgression savamment orchestrée des codes de la représentation, sans
vulgarité ni concupiscence. Marcelo Evelin metteur en scene est un monsieur à la barbe blanche et au
regard qui pétille et lorsque je lui dit qu’au-delà de toute justification intellectuelle, ce qu’il nous avait
donné à voir de cette manière était d’abord des corps, il rigole et me prend chaleureusement la main
dans les siennes. Les danseurs pour certains sont des élèves de l’école de mime d’Amsterdam, ils
traversent tous les soirs ce genre d’aventure, après le spectacle, ils semblent heureux, transfigurés, ils
ont conscience d’avoir tout donné d’eux-mêmes presque jusqu’à leurs entrailles.
Un partage venu du fond des âges à ne pas louper.
Claire Denieul
Vu le 15/10/19 à Pantin
Création et interprétation, Matteo Bifulco, Elliot Dehaspe, Maja Grzeczka, Bruno Moreno, Márcio Nonato, Sho
Takiguchi, Rosângela SulidadeDramaturgie, Carolina MendonçaSon, Sho Takiguchi – Réalisation des cloches
en céramique, Yu Kanai – Recherches philosophiques, Jonas Schnor
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