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Sa majesté des mouches

Non, l’autre soir  à Nantes, je ne suis pas allée faire la fête a la zad de notre dame des landes, j’ai préféré aller au château, grande maison bourgeoise du 18eme siècle, situé dans le campus de la fac de Nantes, station de tramway faculté , pour rencontrer les jeunes exilés qui y ont trouvé refuge depuis maintenant près de deux mois. 

J’avais déjà fait un tour il y a deux jours dans le sous sol de la Censive, pour constater qu’il n’y avait plus rien a manger et que les résidents, tous des exiles luttaient contre la faim et une inactivité destructrice.

Il est 22H et je ne sais pas encore ou je vais vraiment dormir, je rencontre les jeunes du château qui distribuent des tracts dans le tramway. Samuel un très jeune homme roux, avec de beaux yeux en amande et un petit chignon, au visage criblé de taches de rousseurs et un autre plus grand, la tête recouvert de sa capuche bleue, je leur dis que c’est eux que je viens voir,  très gentiment ils m accueillent et portent ma valise le long du chemin de boue qui mène à la grosse bâtisse. 

 

 Dans la grande pièce principale dont les murs arborent des annonces en tous genres, propositions de faire du sport, réunions et messages divers, témoins d’une organisation inventive,  un jeune exilé, vient me prendre la main et me demande de dormir dans sa chambre avec une voix toute fluette et le regard très vacillant , il marche tout doucement avec difficulté, aux têtes des autres je comprends qu’il est atteint de troubles mentaux ; malgré tout en confiance je laisse mes affaires dans un coin et les suis au sous sol, dans la cuisine .

 

La, une dizaines d’exilés jeunes ou moins jeunes, dont un algérien d’une quarantaine d’année, font des frites .

Samuel et ses copains eux, ne cuisinent pas faute de place, et d’envie de le faire pour eux mêmes et vont picorer ca et là des miettes. 

On me montre la réserve pleine a craquer de potimarrons et de légumes divers dont j’apprendrai plus tard que peu de gens les mangent; je suis évidemment surprise, il y a deux jours les jeunes de la Censive n’avaient plus rien dans la réserve et disaient souffrir de la faim .

Interloquée je remonte dans la pièce principale, je retrouve Camille, jeune fille aux joues rondes à peine sortie de l’enfance, au ongles peints en bleus clair et à la coupe au raz du crane, qui me montrera ma chambre au premier étage, en attendant elle allume un chou bang rempli de tabac et d’eau confectionné dans une petite bouteille en plastique, et joue avec son jeune chiot.

Pour qu’elle comprenne ce que je fais la , je lui tends a lire mon dernier texte, écris sur la Censive, elle le lit devant moi, paraît très contente et confiante ; nous empruntons l’escalier central, encombré de barrières de métal enchainées les unes aux autres, elles n’étaient pas là la dernière fois que j’y suis passée ; d’une voix brutalement devenue sauvage Camille m’explique, « c’est un piège à flics pour leur balancer à la gueule  si jamais ils montent ».

Au château il n’y a pas de chambre des filles : La chambre n 7est une grande pièce ou avec les moyens du bord, les jeunes ont bricolés des lits superposés avec des palettes ; en me tendant une couverture et un oreiller elle me raconte qu’elle a vécu dix ans en Afrique avec ses parents et que maintenant elle se ballade, elle fait la route qu’elle cherche à se stabiliser, avec un boulot et un appartement ; qu’elle s’inscrit dans toutes les structures sociales qu’elle traverse mais rien n’y fait .

Puis Camille m’emmène au dernier étage du bâtiment, sous les toits derrière une petite porte se réunissent les décideurs du moment, je retrouve Samuel et son copain et quatre personnes, ce ne sont pas des exilés mais des jeunes a la rue qui ont trouvé dans le château un abri et une cause.

Au fil de la conversation j’apprends que personne vraiment ne « tient » le lieu ce sont les personnes qui passent et qui restent qui décident, que ceux qui étaient la au début, les étudiants sont parti militer à Bure, ou on enfouit des déchets nucléaires ( A 500M sous la terre risquant de contaminer de nombreuses sources ) on leur a laissé toutes les infos et les numéros de téléphone dont ils pourraient avoir besoin .

Que pleins d’associations les soutiennent quand même et qu’une fête a  lieu le 20 janvier prochain, qu’ils vont en maraude souvent pour chercher de la nourriture même si les gens de la zad de notre dame des lande les fournissent régulièrement ; les exilés ne peuvent pas se joindre a eux, si ils sont pris c’est de gros problèmes  pour tout le monde .

J’apprends aussi que la loi sur les ports d’armes des vigiles est passées et qu’elle les rempli de terreur, et pour cause je le découvrirai plus tard .

 

Au bout d’un moment je sens une ambiance délétère monter en même temps que tourne le joint, alors je m’esquive en prenant quelques photos de tag sous l’œil maintenant presque agressif de l’un d’eux .

Le vent a tourne, alors je vais me coucher c’est la meilleure parade ; dans la chambre un garçon dort déjà enfin fait semblant, nous commençons, lumière éteinte, une conversation, le noir total permet a la fois qu’il libère sa parole et que je me déshabille tranquillement pour me glisser dans mon duvet .

André vient d’arriver au château, il  vient de la zad de notre dame des landes, il est sdf, son niveau d’études est correct puisqu’il a passé sont bac et fait deux années de chimie à la fac ; il mendie pour acheter ses cannettes de bière, il vole sa nourriture puisque le rsa n’est distribué qu’a partir de 25 ans, dans la zad il a défriché un potager et construit une cabane ; il ne veut faire aucune formation et d’ailleurs lui en propose t’on=

Quel intérêt, travailler la terre de cette manière est bien plus instructif, on apprends tellement dans la zad .

Je lui propose de faire du pain et de le vendre au lieu de mendier en echange de rien, mais André prefere mendier parce que « ca va plus vite ».

Il me raconte aussi que dans la zad, zone de non droit , des milices formées par les agriculteurs, kidnappent des gens les enferment dans le coffre des voitures pour les emmener au loin ; et il pense bien sur que la décision de ne pas construire d’aeroport sur notre dame des landes est une bonne chose, mais surtout pour ceux qui peuvent acheter leur terrains, pour les autres c’est de toutes façons une catastrophe bref que ca va faire beaucoup d’histoires .

La lumière se rallume, Camille entre avec son chiot, elle est de mauvaise humeur, André la provoque alors elle lui hurle de déguerpir , qu’il n’est pas dans sa chambre a lui 

Un peu éprouvé par ce concentré de misère et d’agressivité, je rentre dans ma coquille et tente de m’endormir ; ma nuit va être traversée par des personnages divers, qui surgissent dans la chambre en ressortent, se couchent, et se lèvent après avoir dormi une heure ou deux .

Au petit matin, soulagée de voir enfin arrivé le jour, je me glisse discrètement hors de la chambre, au rez de chaussée mon voisin de lit, un sdf adulte à la barbe fanée et au regard fatigué me donne encore plus de précisions, oui, ils se réunissent souvent, mais ils ne veulent pas s’organiser volontairement, faire des choses en commun en y étant obligés, en principe deux repas par semaine sont pris ensemble, le mercredi et le vendredi mais il est rare que cela tienne ; « non ils ne veulent pas vivre comme cela et il faut le comprendre » .

Son voisin , un exilé le nez dans son ordinateur ne dit rien 

 

Sur la table sont posées deux grosses bouteilles d’eau a coté d’une étagère avec des sachets de thé ; il est sept heures et demi du matin, tout le monde dort, la porte s’ouvre un jeune exilé traverse la pièce se sert un verre d’eau, et sort, il est plein de force, et de bonne humeur, il marche comme si il allait au boulot, avec entrain 

 A la lumière de cette nuit chaotique et éprouvante j’aurai compris que déjà les vieux clivages lies à la culture, à la langue, et à la couleur de la peau, réapparaissent un instant .

Que le don, la charité, ne règle les choses qu’en apparence,  qu’une certaine jeunesse de plus en plus nombreuse a en croire la fréquentation des zones de non droit ne supporte plus les règles de notre société qui trébuche, et poussé dans la misère et la délinquance, en l’absence d’aides et de structures adaptées, va devoir bientôt aller à l’abattoir et affronter par la force des choses les armes de vigiles soit disant formés .

Que les exiles qui viennent d’une société a certains égards non pervertie par une consommation effrénée, s’en sortent mieux, ont plus de force pour affronter l’adversité que nos enfants bien nourris des familles françaises .

Et que en prenant soin des jeunes exilés qui nous tombent dans les bras, on parviendra aussi à  résoudre ou a diminuer les problèmes terribles de ces jeunes loups en déshérence, ces chèvres de monsieur Seguin que sont les punks a chiens, les sdf de tous poils ; et en prendre soin ca veut dire mobiliser les forces d’éducation et de culture qui sont les seules armes valables contre la misère. 

 

Je sors sous la pluie fine trainant ma petite valise noire et mon duvet ; une demie heure plus tard, je suis a l’auberge de jeunesse entrain de négocier le droit, moyennant finance, de prendre une douche, le directeur de l’auberge, se croit autorisé a me tutoyer, je me lave avec bonheur de cette nuit passée avec une jeunesse au rebus , pleine d’une sourde révolte, et me dirige d’un bon pas vers le palais des congres ou se déroule les bis de Nantes, manifestation d’une culture inscrite commercialement dans une économie de marché. 

 

J'apprendrai deux mois plus tard que la police aidée d'un indic les a délogés au petit matin en ouvrant de l'intérieur les portes du bâtiment.