· 

LACOSTE, OU LA CULTURE A DEUX VITESSES A L’HEURE DE LA MONDIALISATION

DOSSIER. AU SUD, LA CRISE : LACOSTE, ou la culture à deux vitesses à l’heure de la mondialisation.

 

Lorsqu’on suit la route qui va de Cavaillon à Apt, nichée dans les collines superbes du Luberon, on tombe sur Lacoste, ravissant petit village médiéval, surplombé d’un château au sous-sol creusé de carrières dont on a extrait la pierre dorée et dense qui a servi à le construire.

Le château, celui du marquis de Sade, a été racheté dans les années quatre vingt dix par Pierre Cardin qui l’a très bien restauré, a acquis 47 autres maisons du centre ville qu’il laisse inoccupées, entraînant Lacoste dans une spirale mortifère, vidant le village de sa substance, accélérant sa désertification. Il organise tous les ans un festival d’art lyrique, musique et poésie, où se bouscule la jet-set et dont le prix des places, conséquent, n’est pas calculé en fonction des masses populaires et désargentées.

D’ailleurs, lorsqu’on tape sur le net : festival de Lacoste, on tombe sur un site qui se présente comme une société de gestion immobilière à Lacoste.

Ce festival autorisé par la préfecture au mois d’août n’a pas été impacté par le covid.

A Lacoste il y a aussi le SCAD, qui a installé ses locaux dans 34 bâtiments du village du 12ème et 14ème siècle en échange de leur rénovation. Le SCAD c’est le Savannah College of Art and Design qui abrite des étudiants venus de Géorgie pour apprendre le design et l’illustration ainsi que des bribes de culture française.

Aucun étudiant de la région n’a accès à ces cursus.

Il est actuellement inoccupé pour cause de covid.

Coincés entre le château, les maisons et le festival de Pierre Cardin, le SCAD et ses étudiants américains, résistent les habitants de Lacoste dont la plupart ont déserté le cœur du village qui ne compte donc plus aucun commerce, ni café ni boulangerie, juste quelques galeries d’art remplies des œuvres de Cardin.

Les habitants de Lacoste ne sont pas n’importe qui, et quand bien même ; venus de Suède et de Corée, de Norvège et du bassin parisien, ce sont des gens qui se sont établis dans les années soixante dix et ont fait souche avec les locaux, ce sont des poètes, des sculpteurs, des gens de théâtre, qui se mordent parfois les doigts d’avoir vendu leur bien en échange des sommes astronomiques qu’on leur proposait. Pierre Cardin qui collectionne les maisons comme les timbres poste, asphyxie le village s’appropriant finalement une grande partie de l’espace public formé par ces groupes de maisons pour le laisser en jachère.

Alors que j’écris ces lignes, une émission sur les méthodes de Lactalis à Roquefort passe à la radio. Ce sont les mêmes méthodes, le village totalement racheté par le groupe, est laissé à l’abandon jusqu’à ce qu’on en fasse un parc d’attraction touristique avec le concours de la mairie et l’argent de la région.

Comme à Lacoste, la mondialisation a fait son effet et l’argent roi dépossède le contribuable et la communauté de son bien public, faisant régresser le village à un fonctionnement féodal.

Les habitants de Lacoste ont leurs propres associations de loisirs qui passent par les foyers ruraux, mais en attendant, le village est vidé et sans âme, la seule exigeance de la mairie (qui ne veut plus s’exprimer sur le sujet) vis a vis de Pierre Cardin, est qu’il construise des toilettes pour les touristes dans l’enceinte du château.

Celui-ci qui finalement s’est emparé d’un bien commun pour son propre bénéfice, a maintenant toute latitude pour réaliser une belle opération touristique et commerciale, espérons que ce ne sera pas comme à Roquefort avec l’aide des deniers publics.

Pour ceux qui voudraient tous les détails, l’histoire est joliment narrée dans un documentaire réalisé par Cyril Montana, enfant du pays, et publicitaire sur la voie d’une dure prise de conscience quant à l’engagement vécu comme développement personnel et quand au pouvoir et au mépris des multinationales, envers les communs des mortels.


Claire Denieul,
le 29 octobre 2020

A voir : « Cyril contre Goliath » de Thomas Borneau et Cyril Montana.