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A AIX, MICHEL VAN DER AA DONNE UN « BLANK OUT » CONVAINCANT

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Aix en Provence, envoyée spéciale

71e FESTIVAL INTERNATIONAL D’AIX EN PROVENCE. « BLANK OUT » – MICHEL VAN DER AA – Opéra de chambre pour soprano, baryton, choeur et film 3D – Livret et script du film Michel Van Der AA d’après les textes d’Ingrid Jonker – Direction musicale (film)Klaas Stok – Dramaturgie Sophie Motley – Conservatoire Darius milhaud, les 13 et 14 juillet 2019 – Création française.

« Blank out » en anglais signifie trou de mémoire.

Dans ce trou la Michel van der AA a voulu placer des choses dont on prie instamment de ne pas avoir à se souvenir, ou des choses qu’on aurait enfouies au plus profond de soi. Sur scène, seule une femme aux formes maternelles, joliment bien en chair dans une robe d’un rouge flamboyant, chaussée d’espadrilles de corde, les mêmes que celle que l’on met au bord de la plage pendant les vacances.

Derrière elle, un écran, et sur le côté un amas d’objets au sein desquels on distingue la maquette d’une maison, son intérieur cheminée poêle canapé, une caméra sur pieds dont le film est remplacé par une large bande de tissu d’une matière in identifiable.

Pas de musiciens, toute la musique est enregistrée.

A l’entrée, une ouvreuse souriante en robe noire à pois blancs, te distribue des lunettes dont on te dit qu’il faut les chausser et que c’est de la 3 D. Donc côté scène, c’est l’histoire d’une femme qui se souvient d’avoir vu se noyer son fils sous ses yeux sans pouvoir le sauver, et de l’autre, côté écran, d’un homme qui, enfant, a été sauvé par sa mère dont il a causé la noyade. L’action explore les correspondances entre la scène l’écran, et la maquette, en tentant de les positionner sur le même plan et d’en faire une unité.

Les lunettes opacifiantes jouent le rôle de liant visuel. Le réel et les images de l’écran s’interpénètrent, la chanteuse est parfois sur scène et sur l’écran au même moment, accentuant le fait qu’on ne distingue plus le réel du virtuel. Puis elle positionne les objets de la maquette qui sont alors visibles sur le côté et actionne la caméra qui filme en gros plan, construisant là, sur scène et sur l’écran un cadre de vie, leur cadre de vie, grossi par la mémoire, celui du passé, dans lequel l’homme évoluera un peu plus tard. Les personnages, les objets, les images interagissent, la réalité et la fiction sont au même niveau de perception.

Comme un bon médium tourneur de table, Michel van der AA réussit la communication entre le réel et l’intangible, entre deux volets d’une même histoire, il procède à un espèce d’aller-retour du temps, en projetant des images quotidiennement anodines, il reconstitue les images du drame de la séparation mère enfant, en réalisant le tour de force de raconter l’histoire des deux côtés du miroir.

En faisant se télescoper deux réalités, il plonge au cœur du sentiment d’abandon et de perte, qui étreint les êtres lorsqu’ils se séparent, mort peut être mais aussi divorces, accidents de la vie ou moments où l’impossibilité de communiquer prédomine. La musique électronique parsemée de bruitages aux accents pop est soutenue parfois par des chœurs qui interviennent comme un contrepoint à l’action dans une sorte de commentaire à la manière des chorales de Bach.

On entrevoit avec acuité et avec un minimum de pathos le désespoir qui étreint les êtres en perpétuelle quête d’un paradis perdu, dans le souvenir indéfiniment revisité de la crise qui a présidé à leur séparation.

 

Un travail subtil extrêmement émouvant, résolument contemporain dans l’utilisation discrète, astucieuse et sobre des moyens technologiques actuels. On peut cependant s’interroger sur la pertinence du choix de sujets si tristes et si forts, sur le travail d’introspection et d’identification des chanteurs pour tenir à distance une histoire si dramatique et en même temps la représenter, sur la volonté du metteur en scène de poétiser le malheur.

Y aller sans maquillage avec une boîte de Kleenex.

Claire Denieul Aix en Provence, envoyée spéciale