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« MANON » : OLIVIER PY MET A POIL L’OPERA DE MASSENET

CRITIQUE. « Manon » – Opéra-comique de Jules Massenet en cinq actes sur un livret de Henri Meilhac et Philippe Gille, d’après le roman de l’abbé Prévost, L’Histoire du chevalier Des Grieux et de Manon Lescaut. Créé à l’Opéra Comique en 1884 – Direction musicale, Marc Minkowski – Mise en scène, Olivier Py – Opéra Comique, Paris, du 7 au 21 mai 2019.

C’est un jour de première , ambiance parisienne, dans la foule Laure Aldler, Bianca Li, Olivier Py, Fabienne Pascaud, nous sommes à l’Opéra Comique, qui, très bien restauré scintille de toutes ses moulures dorées, lustres flamboyants et peintures d’époque. J’ai une très bonne place : premier balcon un peu au dessus de la fosse d’orchestre d’où j’observe le sommet du crâne du chef Marc Minkowski.

La salle est pleine à craquer. La clarinettiste donne le signal du début du spectacle et yep ! C’est parti !

L’histoire de Manon Lescaut, on la connaît : la jeune Manon 16 ans arrive à Paris en transit pour le couvent réceptionnée par son cousin qui va servir de chaperon, mais elle rencontre le chevalier Des Grieux avec lequel elle fuit pour vivre une romance qui ne durera que peu, l’histoire en réalité illustre les tiraillements de l’âme humaine entre l’amour et la réussite, ici, la fortune. Et là, les parti-pris de mise en scène d’Olivier Py, deviennent ainsi limpides et posent question quant à son aventure personnelle.

Si l’on se réfère à l’écriture du livret, l’action de Manon se situe au début du 19ème siècle. Tel un jardinier rempotant ses plantes et les changeant donc de pots, Olivier Py a voulu situer l’action dans une époque plus contemporaine, un Paris kitch des années soixante-dix, le Paris idéal du touriste japonais, avec l’hôtel à néons fluo dont l’enseigne en forme de palmier te destine à un trip exotique, des petites femmes, beaucoup de putes à guêpière et porte jarretelles, donc, et leur mac aux mains ultra baladeuses coexistant dans l’exiguïté d’un tripot où tour à tour on fait des passes et on joue sa fortune. C’est là que va débarquer la jeune vierge effarouchée qu’est Manon dans un véritable pince-fesses où son corps et sa vertu sont mis à rude épreuve, scènes dans lesquelles son cousin de bon conseil lui recommande de rester docile, et de ne surtout pas broncher.

La rencontre avec Des Grieux et le bonheur qui s’ensuit passent très rapidement, un regard, trois notes et vite au lit. Nous sommes dans la problématique du plaisir, de la satisfaction immédiate des désirs. A ce moment là, la voix superbe de Patricia Petibon, sa prestance, l’agilité de son jeu sont notre seule consolation ainsi qu’un trio de trois jeunes putes en couettes et blousons à fourrure poussant la chansonnette sur le balcon.

Un peu plus tard une énorme lune traversée par la danse un peu lascive d’une ballerine et de ses trois partenaires mâles viendra illustrer les égarements d’un Des Grieux en pleine crise de foi, qui somme de renoncer pour toujours aux plaisirs de la chair.

La suite de l’intrigue verra Manon et Des Grieux en costumes d’époque mais ayant inversé les genres, Des Grieux en robe à panier et plume sur la tête joue dans un tripot sous les ordres de Manon en pantalon et redingote au milieu d’une foule grouillante. Il neige et il pleut plusieurs fois au cours du spectacle et l’on restera pratiquement toujours dans une gesticulation perpétuelle censée nourrir l’action et donc, le chant et la musique.

L’opéra c’est du boulot, faire rentrer dans une cage de scène des décors énormes, au moins une trentaine de figurants et chanteurs sans compter les choeurs qui à un moment envahiront même la salle, demande une organisation hors-pair de la part du théâtre. Et Py l’a bien compris qui fait saluer en premier les techniciens.

 

Le spectacle se terminera sous les bravi bravo brava et un tonnerre d’applaudissements, culminant au moment des saluts de Patricia Petibon qui a fort bien rempli son rôle et avec beaucoup de patience car je ne suis pas sûre , moi, que j’aurais aimé que tous ces hommes convoitent à ce point mes appâts pendant le spectacle et même si c’est du jeu, et même s’il fallait par là dénoncer la condition féminine.

Je ne suis pas sûre non plus si j’avais été Frédéric Antoun jouant Des Grieux, que j’aurais trouvé juste et judicieux qu’on m’affuble d’un costume féminin avec une plume sur la tête même si l’effet était très réussi, et finalement efficace dans la caricature, et que j’aurais certainement trouvé redondant que mes atermoiements concernant ma foi et ma sexualité soient figurés par une femme nue lascive dansant au clair de lune avec ses trois compères, un mauvais ballet classique.

Je ne sais pas non plus si en tant que figurant j’aurais adoré changer les décors à poil avec un masque de tête de cochon ou de chien sur la tête. Peut-être que j’aurais trouvé ça un peu lourd et vulgaire même si l’idée était de prendre le contre-pied d’une Manon Lescaut en chemisier en dentelles à jabot et robe à panier 19ème, peut-être un peu trop délicate, trop sucrée et trop poudrée.

Il y a aussi une façon de diriger les acteurs ou des figurants qui implique qu’on les respecte, qu’ils ne sont pas là, utilisés au même titre que les objets du décor.

Montrer un corps nu au théâtre doit avoir un autre sens que choquer le bourgeois que ça ne choque même plus, sauf si peut-être, il se met à la place du figurant qui est payé pour le faire.

Et quel sens tire-t’on d’une Manon Lescaut ainsi déracinée ? D’une vision aussi trash du petit peuple ?

Heureusement pour qui aime l’opéra, la musique et le talent de la merveilleuse Patricia Petibon, celui de tous les chanteurs de ce spectacle comme de l’orchestre de Marc Minkovski qui joua tambour battant sans à peine une respiration, emportent le reste, procurant même aux plus sceptiques le plaisir de voir à l’opéra les mêmes histoires toujours changeantes et renouvelées. Cependant je pense à part moi et me dois de l’écrire ici, que parfois, il est bon que la mise en scène se hisse au niveau des interprètes et de l’ingénierie qui est mise à sa disposition… Le plaisir n’en aura été que plus profond et durable, et perdurera bien après la représentation.

Claire Denieul,
le 9/05/19

Distribution : Patricia Petibon, Frédéric Antoun, Jean-Sébastien Bou, Damien Bigourdan, Philippe Estèphe, Laurent Alvaro, Olivia Doray, Adèle Charvet, Marion Lebègue – Choeur de l’Opéra National de Bordeaux – Orchestre Les Musiciens du Louvre

Photo Stefan Brion / Opéra Comique, Paris