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« TRISTAN UND ISOLDE » : RALF PLEGERT

CRITIQUE. TRISTAN UND ISOLDE – Opéra de Richard Wagner – Direction musicale ALAIN ALTINOGLU – Concept artistique RALF PLEGER & ALEXANDER POLZIN – Mise en scène RALF PLEGER – en Allemand, surtitrages Français et Néerlandais – durée 5h avec entractes – la monnaie – De Munt, Bruxelles – La musique de Wagner comme le sentiment amoureux est addictive. Nos hormones nous gouvernent et nous en redemandons, aussi bien que Louise l’Abbé qui baisa et rebaisa, et que sainte Thérèse d’Avila qui s’auto-consuma pour le Christ et dont le corps déterré cent ans après sentait encore la violette. L’amour version romantique est une forme de sublimation de soi-même, une autre façon de lutter contre la mort, le plus doux des supplices, une drogue, un philtre.

En voilà un beau sujet à traiter à l’opéra ou l’on remonte années après années les mêmes histoires devenues archétypales, et qui procèdent du même phénomène. L’opera donc, comme la variété n’échappe pas à cette règle qui veut que, plus on entend, plus on identifie la musique, plus on l’aime, ce qui fonctionne à plein avec Tristan et Yseult. 

Dès les premières mesures le thème sublime, d’un romantisme absolu, d’une force qui te propulse par delà les océans , au cœur du drame que tu vas vivre, que tu vis déjà à l’entendre, te cloue sur ton siège de tant de beauté, de douceur et de tristesse, te saisit la poitrine et te pique les yeux, et c’est la gorge nouée au travers d’un rideau de larmes salées que tu assistes à une merveilleuse représentation qui te feras vivre sans aucune conséquence réelle finalement, toutes les affres d’un sentiment terrible et délicieux. 

Et vive l’opéra.!

Pour traiter cette histoire aussi puissante qu’un tronc de baobab, et aussi délicate qu’un brin de muguet, l’équipe de Ralf Pleger a choisi la simplicité, mis de côté la technique pour se concentrer sur ce qui est le vecteur du sentiment humain le plus efficace sur la scène : les chanteurs et les chanteuses.

Six semaines d’un travail assidu où le texte est dépecé ausculté afin que chacun soit au fait de ce qu’il chante, de la situation, de sa place dans l’espace du moindre de ses gestes. Tout est simple, vécu intensément et retransmis à un public qui voyage avec son âme et sa tête, branché sur les protagonistes comme générant un arc de soudure tant le propos est électrique.

L’allemand résonne dans toute la richesse de ses sonorités avec la musique de Wagner et je me prends à lire dans les sous titre en français des mots qui font office de détonateurs dans mon for intérieur, où je capte en un instant l’ambiguïté, la profondeur, la subtilité, la beauté mais aussi la souffrance, et l’auto anéantissement pourtant tant désiré du sentiment amoureux:

 

Cette joie, de peine mêlée.

Drôle d’histoire, et pourtant c’est au cœur de chacun qu’elle parle, de l’ouvreur, la dame du vestiaire au monsieur aux tempes grisonnantes en presque frac ou de cette dame américaine qui pour une fois a emmené ses deux jeunes filles à l’opéra.

De fait, le parti-pris de la mise en scène a été de donner un cadre suggestif à Tristan et Yseult avec des éléments de décors symboliques évolutifs, cadre permettant à tous de revivre ses propres histoires portées par la musique, les chants, les situations. Et tous inspirés e l’univers marin dont le flux et le reflux accompagnera le récit au rythme d’un cœur qui bat, et conçus sous la direction du sculpteur scénographe Alexander Polzin.

Le premier acte verra des vagues de tissus figurant les nuées au dessus des flots se transformant en colonnes de pierre une fois l’action arrivée à bon port, le deuxième un magnifique bouquet de corail géant au centre de la scène se prolongeant par des corps animés, se mouvant à partir et dans la structures, roulant en masse comme une matérialisation au sol des émotions générées par le chant des protagonistes.

Le troisième acte est marqué par la profusion des ombres qui te transportent du cosmos à la Cornouaille en passant par la scène du théâtre de la Monnaie dans le flamboiement d’un jeu de lumières subtiles. 

Là, les basses toutes entières de l’orchestre résonnent en même temps que Tristan qui chante sa fin et que le roi Marc exsude sa douleur, des basses d’une beauté irréelles dont les vibrations s’insèrent dans le corps même des spectateurs.

La fin apocalyptique verra une Yseult incandescente se consumer dans un théâtre qui s’embrase.

Une superbe traversée, une aventure lyrique qui te laisse pantelante et brisée. Transport savoureux où il convient de se précipiter pour le simple plaisir d’éprouver des émotions fortes.

Claire Denieul
Bruxelles Le 3/5/2019

Avec
Tristan: Bryan Register
Isolde: Ann Petersen
Brangäne: Nora Gubisch
König Marke: Franz-Josef Selig
Kurwenal: Andrew Foster-Williams
Melot / Ein Steuermann: Wiard Witholt
Ein Hirt / Ein junger: Seemann Ed Lyon

Orchestre symphonique et chœurs d’hommes de la Monnaie, dirigés par Alain Altinoglu.

 02.05.2019 au 19.05.2019.Représentation du 2 mai 2019.