Les belles pierres dorées de la carrière Bourbon qui font la beauté et l’élégance de l’architecture Avignonaise, appellent à la tragédie, ces carrières de calcaire désaffectées sont forcément le lieu idéal pour accueillir un texte d’Euripide vieux de 2500 ans, auquel Tiago Rodriguez aura rajouté sa patte.
En route donc pour aller par une dizaine de cars bourrés à craquer, vers ce bel endroit où les spectateurs déposés la deux heures avant le spectacle, auront tout le loisir de se restaurer à prix corrects, pour assister au spectacle le ventre plein.
On croit naïvement que l’on va participer à une tragédie antique entremêlée d’éléments plus contemporains pour en faire ressentir la profondeur du drame. Mais non ce n’est pas tout à fait ce qui ces passe.
La pièce imbrique, compile, additionne de multiples couches comme on fait des lasagnes ou du tiramisu : tragédie, drame et comédie, et l’on passe de l’un à l’autre en oubliant de respirer.
Elle est formidablement portée par les acteurs de la comédie française dont le jeu, simple, fluide, agile léger, sensible, font ressentir les moindres nuances du texte, surtout celui de Tiago, qui écrabouille un peu, il faut le dire, celui d’Euripide, qui mort depuis 2450 ans ne peut se défendre.
- Le sujet c’est la maltraitance. Toutes les maltraitances, celles des animaux, des enfants , des handicapés , des personnes âgées qui passent avec l’âge et le déclin de leurs fonctions cognitives, de parents à enfants, sous notre protection, à notre bon vouloir.
- Comme les enfants autistes qui ne peuvent parler mais dont le corps se souvient. Comme les nourrissons comme les animaux, tous ceux qui n’ont pas ou plus la parole.
- Le texte se fait écho de leur douleur, et de la nôtre. D’abord celle des femmes dont le rôle dans la société reste toujours celui de de s’occuper des enfants, des parents âgés, alors qu’elles doivent dans le même temps assumer des taches professionnelles qui les font vivre, des femmes coincées entre trois feux, la culpabilité, l’amour et leur vie personnelle et professionnelle.
- Toutes celles la se regroupent sous la bannière de Hecube, cette Hecube qui se dresse, se révolte et demande justice.
La figure emblématique de la chienne à la patte arrachée pleine de cicatrices, qu’elle raconte par étapes tout au long du spectacle, en est le vecteur puissant.
Le cadre superbe de la carrière, l’utilisation du son, couplée avec des éclairages et de quelques projections pour changer d’ambiance, de lieu , de siècle, parfois pleins pots, parfois enveloppant la scène comme une cloche protectrice de lumière, soulignant l’espace, le magnifiant, en en modifiant la taille d’un coup de curseur a rendu possible et crédible les bascules de lieux et d’époques.
Dans les gradins beaucoup de personnes âgées, qui s’étaient déplacés à la carrière Boulbon, et qui avaient même eu du mal à monter les marches jusqu’à leur place.
A quoi cette histoire les a t’elle ramenés, ? À quelle réalité inhumaine contemporaine qui fabrique jour après des infanticides , des matricides , des parricides modernes, les a-t-elle confrontés?
Combien de femmes et d’hommes obligés de confier ceux qu’ils aiment à des institutions déficientes, inadaptées, et cotées en bourse, tout en se persuadant que c’est bon endroit , tant le dilemme est difficile
Une masse de culpabilité et de tristesse a bien dû traverser le public, lorsqu’on y pense un peu, puisque la pertinence de ce spectacle touche si fort à nos drames personnels.
Et l’habilete du texte de Tiago Rodriguez et de ces formidables comédiens du Français, est de nous avoir fait rire presque tout le temps
C’est Elsa Lepoivre , l’actrice qui joue Hecube, bouleversante de bout en bout qui envoie pour la fin la note la plus merveilleuse d’amour qui soit, enveloppant dans un même discours, les hommes et les bêtes.
Dans une indicible tendresse.
Bravo!
….( ndlc: je pleure)
Avec: Avec les interprètes de la Comédie-Française : Éric Génovèse, Denis Podalydès, Elsa Lepoivre, Loïc Corbery, Gaël Kamilindi, Élissa Alloula, Séphora Pondi