Hombre ce fut une belle nuit!
Si vous ne saviez pas où dormir la nuit du 5 juillet à Avignon, vous aviez le choix entre la boîte de nuit et la cour d’honneur du palais des papes pour aller danser et réaffirmer votre soutien aux forces progressistes qui sont menacées par un fachisme rampant de retour.
Non ce n’était pas une fête pour happy few, mais un grand rassemblement populaire et solidaire pour se tenir au chaud quand le vent glace de la régression souffle dans votre dos. Donc tous purent rentrer ceux qui avaient des billets et ceux qui n’en avaient pas.
Mais l’essentiel n’était pas de rentrer mais de rester ensemble tout au bout de cette nuit de résister au tourbillon qui souffle dans toute la cour transformant la salle en glacière et les spectateurs en auditeurs emmitouflés , avec bonnets écharpes et couvertures. Après le discours des officiels la salle se vida petit à petit les gens étaient remplacés par d’autres qui rentraient . Au bout de la nuit quand le ciel commença à pâlir il restait 40.pour cent de la salle , 40 pour cent qui avaient résisté au froid et au vent en chantant applaudissant et criant. 40 pour cent à boire les paroles des actrices de la comédie Française lisant un texte d’un collectif inconnu du grand public, datant de 2016, racontant comment hors d’une société dont ils n’attendent plus rien, il tentent de bâtir un monde nouveau dans les Zads qu’ils créent à Notre dame des Landes ou ailleurs, 40 pour cent pour cent pour écouter , transis, Camille Étienne, introduisant sur scène la frugalité en finissant son texte sans chaussures et sans micro. 40 pour cent a être émus par Ahmed Madani déclarant comment lui, avait été fâché de découvrir qu’il était racise puisque le mot était rentré au dictionnaire de la langue française en 2018. 40 pour cent pour boire les paroles de Jeanne Balibar avec sa taie d’oreiller sur la tête déclarer que elle aussi elle ferait comme les femmes de la place de mai, elle n’enverrait aucun enfant fut il d’elle ou non, se battre et que elle aussi lutterait contre un fachisme rampant jusqu’à son dernier souffle. 40 pour cent a écouter émus , les équipes techniques et petites mains du festival avec Tiago dans leurs rangs, déclarer se mobiliser corps et âmes pour avoir un rôle actif dans les élections législatives en cours, en plus de leur tâches quotidiennes du festival, et enfin 40 pour cent à être conquis par Tiago, déclarant avec son petit accent portugais pointu, la fierté d’avoir été choisis par l’état français pour diriger un festival international, aux valeurs républicaines, progressistes, féministes, par un état qui les avait accueillis lui et son père opposant portugais et qui avait permis que lui, Tiago se construise .
Lorsque le jour fut enfin là avec beaucoup beaucoup de musiques, et de textes puissants , le vent faiblit et la cour s’éclaircit livrant aux yeux fatigués l’ocre de ses murs.
Ceux qui pouvaient filèrent se coucher. Il ne manquait aux autres qu’un petit déjeuner fédérateur, lorsque la fatigue annule les conventions sociales et que tout le monde, vedettes , techniciens, publics, directeurs se retrouvent à nu, deshabillés de leurs oripeaux prêts à la rencontre.
Cette nuit la cour était à tous, même à ceux qui n’étaient pas là, comme Camille dont la douce rengaine « extrêmes , extrêmement ment » retentit au début et à la fin de cette nuit unique et lumineuse
Hecube, pas Hecube
Texte Euripide , Tiago Rodriguez
Mise en scène: Tiago Rodriguez
Les belles pierres dorées de la carrière Boulbon qui font la beauté et l’élégance de l’architecture Avignonaise, appellent à la tragédie, ces carrières de calcaire désaffectées sont forcément le lieu idéal pour accueillir un texte d’Euripide vieux de 8000 ans, auquel Tiago Rodriguez aura rajouté sa patte.
En route donc pour aller par une dizaine de cars bourrés à craquer, vers ce bel endroit où les spectateurs déposés la deux heures avant le spectacle, auront tout le loisir de se restaurer à prix corrects, pour assister au spectacle le ventre plein.
On croit naïvement que l’on va participer à une tragédie antique entremêlée d’éléments plus contemporains pour en faire ressentir la profondeur du drame. Mais non ce n’est pas tout à fait ce qui ces passe.
La pièce imbrique, compile, additionne de multiples couches comme on fait des lasagnes ou du tiramisu : tragédie, drame et comédie, et l’on passe de l’un à l’autre en oubliant de respirer.
Elle est formidablement portée par les acteurs de la comédie française dont le jeu, simple, fluide, agile léger, sensible, font ressentir les moindres nuances du texte, surtout celui de Tiago, qui écrabouille un peu, il faut le dire, celui d’Euripide, qui mort depuis 8000 ans ne peut se défendre.
- Le sujet c’est la maltraitance. Toutes les maltraitances, celles des animaux, des enfants , des handicapés , des personnes âgées qui passent avec l’âge et le déclin de leurs fonctions cognitives, de parents à enfants, sous notre protection, à notre bon vouloir.
- Comme les enfants autistes qui ne peuvent parler mais dont le corps se souvient. Comme les nourrissons comme les animaux, tous ceux qui n’ont pas ou plus la parole.
- Le texte se fait écho de leur douleur, et de la nôtre. D’abord celle des femmes dont le rôle dans la société reste toujours celui de de s’occuper des enfants, des parents âgés, alors qu’elles doivent dans le même temps assumer des taches professionnelles qui les font vivre, des femmes coincées entre trois feux, la culpabilité, l’amour et leur vie personnelle et professionnelle.
- Toutes celles la se regroupent sous la bannière de Hecube, cette Hecube qui se dresse, se révolte et demande justice.
La figure emblématique de la chienne à la patte arrachée pleine de cicatrices, qu’elle raconte par étapes tout au long du spectacle, en est le vecteur puissant.
Le cadre superbe de la carrière, l’utilisation du son, couplée avec des éclairages et de quelques projections pour changer d’ambiance, de lieu , de siècle, parfois pleins pots, parfois enveloppant la scène comme une cloche protectrice de lumière, soulignant l’espace, le magnifiant, en en modifiant la taille d’un coup de curseur a rendu possible et crédible les bascules de lieux et d’époques.
Dans les gradins beaucoup de personnes âgées, qui s’étaient déplacés à la carrière Boulbon, et qui avaient même eu du mal à monter les marches jusqu’à leur place.
A quoi cette histoire les a t’elle ramenés, ? À quelle réalité inhumaine contemporaine qui fabrique jour après des infanticides , des matricides , des parricides modernes, les a-t-elle confrontés?
Combien de femmes et d’hommes obligés de confier ceux qu’ils aiment à des institutions déficientes, inadaptées, et cotées en bourse, tout en se persuadant que c’est bon endroit , tant le dilemme est difficile
Une masse de culpabilité et de tristesse a bien dû traverser le public, lorsqu’on y pense un peu, puisque la pertinence de ce spectacle touche si fort à nos drames personnels.
Et l’habilete du texte de Tiago Rodriguez et de ces formidables comédiens du Français, est de nous avoir fait rire presque tout le temps
C’est Elsa Lepoivre , l’actrice qui joue Hecube, bouleversante de bout en bout qui envoie pour la fin la note la plus merveilleuse d’amour qui soit, enveloppant dans un même discours, les hommes et les bêtes.
Dans une indicible tendresse.
Bravo!
….( ndlc: je pleure)
Avec: Avec les interprètes de la Comédie-Française : Éric Génovèse, Denis Podalydès, Elsa Lepoivre, Loïc Corbery, Gaël Kamilindi, Élissa Alloula, Séphora Pondi